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Entretiens


Mélanie Courtinat – Franchir de nouveaux portails virtuels

01 OCT 2024
Lila Meghraoua

Du haut de ses trente ans, Mélanie Courtinat figure parmi les pionniers des arts immersifs. En 2018, elle proposait déjà une installation immersive au VR Arles Festival, qui invitait les visiteurs à éprouver un jardin luxuriant (I never promised you a garden). Depuis, l’artiste a exposé son travail à Venise, à l’HEK (Maison des arts électroniques) de Bâle, au Game Show de Tokyo, et plus récemment, à la New Galerie à Paris avec Netflix and Chill. Chantre du jeu vidéo, Mélanie Courtinat embarque les visiteurs dans des mondes oniriques et mélancoliques. Et ce faisant, affirme le jeu vidéo comme « un portail » vers des expériences artistiques fortes.

© Mélanie Courtinat – A side quest is not enough, 2022

Vous avez étudié le design interactif. Comment êtes-vous arrivée aux arts numériques et immersifs ?

La porte d’entrée vers les arts numériques a été le jeu vidéo. J’ai commencé à jouer très jeune. C’est un médium qui me fascine, que ce soient de grosses licences ou des jeux plus indépendants. Enfant, j’ai pu associer très tôt le jeu vidéo à des visites au musée ou au cinéma et je lisais beaucoup. Fondamentalement, c’est l’art qui m’intéresse dans sa globalité. Le monde réel ne m’enthousiasme pas beaucoup, j’ai toujours été plus à l’aise derrière un ordinateur. 

D’ailleurs, on évoque souvent le caractère froid des lumières bleues des écrans. Mais à mes yeux, les écrans sont des portails vers des expériences chaleureuses : on tombe amoureux en ligne, on se fait des amis, on vit intensément, écran ou pas. Ce qui m’intéresse, c’est le contenu, pas le contenant – qui n’est qu’une passerelle vers ce que je crée. 

© Mélanie Courtinat – I never promised you a garden, 2017

 

Pourquoi cet intérêt pour le jeu vidéo ?

Travailler avec le jeu vidéo permet de créer des univers et des mondes nouveaux. Les libertés, les possibilités sont telles que ça me donne le vertige. On peut s’extraire des règles de la physique, de la gravité, du rapport d’échelle. Dans le monde réel, certaines de mes expérimentations demanderaient un budget titanesque. Du reste, l’œuvre ne pourrait voyager que difficilement. Le virtuel répond parfaitement à mes ambitions.

© Mélanie Courtinat/Salomé Chatriot – I’m not tough enough to be online, 2023

Vos mondes sont des expériences en soi. Elles s’éprouvent, se parcourent. Comment compose-t-on une expérience ?

J’ai recours à des moteurs de jeu vidéo, notamment Unity et Unreal Engine (moteurs de jeu vidéo, ndlr). Avec ces outils, on peut créer un projet en temps réel. Autrement dit, on n’a pas besoin de concevoir de gameplay, c’est-à-dire toutes les caractéristiques qui définissent un jeu vidéo. Je conçois directement. Mon processus de création se veut très ludique. Quand je crée, j’ai l’impression de jouer aux Lego ou d’être un nerd qui peint une figurine ou conçoit une maquette. C’est très artisanal, je modèle mon terrain, y ajoute mes personnages, je gère les lumières. Ça m’amuse beaucoup.

© Mélanie Courtinat/Yatoni – Ten Lands

Le jeu vidéo induit une interaction entre l’œuvre d’art et les visiteurs. Quel est votre rapport à eux ?

Le public est très important pour moi. J’essaie de faire des œuvres d’art accessibles. Je défends le jeu vidéo comme étant une forme de création à part entière, un médium noble au même rang que la peinture, la sculpture et autres formes de création contemporaine. Je n’ai pas envie de prendre de haut ou de proposer des challenges impossibles à un public qui ferait déjà l’effort de se saisir d’une manette de jeu vidéo. 

Pour le musée d’art de Pully, en Suisse, dans le cadre de l’exposition Vivre l’œuvre, voyage aux frontières de l’art immersif contemporain, j’ai réalisé un jeu vidéo avec une manette. Pour certains visiteurs, c’était la première fois qu’ils en tenaient une. C’était l’occasion de proposer une expérience à un public traditionnel dans un musée traditionnel. C’est aussi mon rôle d’inviter les visiteurs à oser. Interagir avec une œuvre d’art dans un espace muséal relève de la performance. Je leur propose de créer. On leur a répété toute leur vie que l’art ne peut être touché qu’avec les yeux. Mon art, c’est l’inverse. Mon art a besoin des gens et qu’on le touche pour exister.

Pour découvrir plus en détails le travail de Mélanie Courtinat, rendez-vous sur son site

© Mélanie Courtinat – The Siren, 2024