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Entretiens


Guillaume Désanges Faire entendre d’autres voix

22 JAN 2024
Jane Doe

En janvier 2022, la nomination de Guillaume Désanges à la tête du Palais de Tokyo avait créé la surprise. Commissaire d’exposition et critique d’art indépendant, il est reconnu pour des expositions atypiques et clivantes, par exemple au Centre Pompidou-Metz, à la Generali Foundation à Vienne, au Pérez Art Museum de Miami, aux Laboratoires d’Aubervilliers, au centre d’art Le Plateau – Frac Île-de-France ou encore à La Verrière – Fondation d’entreprise Hermès à Bruxelles où il a œuvré de 2013 à 2022.

Que ce soit comme directeur artistique du Salon de Montrouge, comme fondateur de la structure de production Work Method ou actuellement à la tête du plus grand centre d’art contemporain d’Europe, il ose suivre ses intuitions, loin de la doxa, et explore inlassablement des récits alternatifs pour mieux saisir la marche du monde. Dans son bureau, sa passion et sa parole virevoltent pour défendre le pouvoir de l’art face aux défis de notre époque et poussent le Palais de Tokyo à emprunter des chemins de traverse.

Est-il possible de définir un portfolio, composé d’images et d’artistes, qui permettrait de cerner l’ADN du Palais de Tokyo ?

Pour répondre à cette question, il faut s’intéresser au bâtiment qui accueille le Palais de Tokyo et qui a une histoire vieille de 85 ans. Créé à l’occasion de l’Exposition internationale de 1937, il est d’emblée tourné vers l’avenir, chargé de mettre en lumière des futurs possibles. Sur le plan architectural pourtant, si sa conception traduit bien la volonté moderniste des années 1930, il se distingue par un monumentalisme qui peut apparaître autoritaire avec un retour à un certain ordre néoclassique. Il est dès lors intéressant de comprendre comment le centre d’art du Palais de Tokyo, ouvert en 2002, dédié à la création contemporaine, est en tension avec son architecture. En effet, notre ADN artistique, audacieux, vivace, original, dédié à l’émergence de nouveaux talents et à la mise en lumière de l’avant-garde, se déploie dans une architecture muséale a priori inadaptée à cela. C’est pourquoi il faut ici rendre hommage à la formidable intuition des deux premiers directeurs du musée, Nicolas Bourriaud et Jérôme Sans. Ils parvinrent à tordre le cou à l’aspect muséographique du bâtiment, avec ses colonnes massives et son immense porte et ses 22 000m² d’espace. Puis, la très intelligente réhabilitation architecturale de Lacaton et Vassal a permis d’aller à rebours d’une institution muséale classique, cette fois-ci dans les manières de pratiquer le lieu. Le Palais de Tokyo, qui n’a pas de collections ni de réserves, s’est ainsi très vite démarqué par des partis pris artistiques inédits et une singularité dans l’utilisation des espaces.

Est-ce pour mieux comprendre cette relation ambiguë entre le musée et son bâtiment qu’à votre arrivée à la tête de l’institution, en 2022, vous avez décidé d’organiser un grand désenvoûtement du musée ?

Oui, avec Adélaïde Blanc, qui est co-commissaire de cette initiative, nous avons voulu plonger dans l’inconscient du bâtiment. C’est un chantier de plusieurs années qui s’inspire librement de la théorie de la psychothérapie institutionnelle, notamment développée par le psychiatre François Tosquelles. Celle-ci postule qu’il faut « soigner les institutions ». Avec le grand désenvoûtement, notre objectif est de rendre conscient des forces qui déterminent parfois nos choix, sans que nous ne nous en rendions compte. Je parle ici du bâtiment en lui-même qui, tel un être humain, dispose d’un corps, d’une histoire, d’un esprit. Par exemple, comment ce lieu qu’est le Palais de Tokyo, pouvant apparaître de prime abord comme un endroit cool et tendance, peut, dans le même temps, faire œuvre de domination par son impressionnante architecture ? Ainsi, l’artiste Carla Adra a récolté de nombreux témoignages de salariés de l’institution concernant leurs conditions de travail, avant qu’elles ne soient restituées par trois performeuses. Un radiesthésiste est également venu sentir les flux du bâtiment qui ont ensuite été retranscrits en lumière par l’artiste Edith Dekyndt.