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Entretiens


Chloé Jafé – Japon, mon amour

21 JAN 2025
Clémence Leleu

Exposée en 2024 aux Rencontres de la photographie d’Arles, au sein de l’exposition From Japan with Love, Chloé Jafé s’intéresse depuis plusieurs années au Japon et à ses marges. Son travail immersif amène le spectateur au cœur des quartiers populaires d’Osaka, sur l’île d’Okinawa ou encore dans le milieu très fermé des Yakuza. Une œuvre à découvrir dans sa trilogie dédiée à l’Empire du Soleil Levant : Sakasa.

© Chloé Jafé – I give you my life

 

Qu’est-ce qui vous intéresse dans le fait de photographier les marges et plus particulièrement celles du Japon ? 

Cette envie de montrer la différence, de la défendre et de mettre en lumière des personnes qui n’ont pas forcément les moyens de s’exprimer, est le reflet de ce que je suis. Je ne me suis jamais sentie très à l’aise à l’intérieur de la société. Au Japon, j’ai éprouvé ce sentiment encore plus fortement qu’en France. J’étais plus dans mon élément avec des gens considérés comme marginaux qu’avec ceux bien ancrés dans le système social nippon. 

J’ai ainsi photographié le quartier de Nishinari à Osaka, un lieu qui a été un peu gommé des cartes, qui fait même « la honte du Japon », car peuplé de marginaux, de SDF ou de travailleurs journaliers. Or, en les rencontrant et en parlant avec eux, j’ai au contraire perçu beaucoup de vie, d’amour et d’humanité. J’ai logiquement eu envie de mettre de la lumière et des couleurs sur ce qu’ils vivent pour les faire exister. 

© Chloé Jafé – How I met Jiro

 

Pour vos projets, commencez-vous directement à prendre des photos ou prenez-vous un temps de familiarisation avec les gens et l’environnement ?  

Les prises de vues interviennent toujours dans un second temps. Déjà, nous apprenons à nous connaître. Pour mon travail sur les femmes de Yakuza, j’ai par exemple d’abord rencontré le chef. Et pour ces rendez-vous-là, c’était important pour moi d’avoir toujours mon appareil photo. Je me sentais protégée derrière lui. C’était également essentiel qu’il y ait toujours ce rappel : je suis là pour le travail, un travail photographique. J’ai d’ailleurs pris une photo de ce chef qui figure dans mon livre, Sakasa Trilogy. J’étais nerveuse et comme je n’étais pas sûre d’avoir le droit de le prendre en photo, je lui ai coupé la tête en pensant : « Si jamais il me dit quelque chose, ça passera ! »

Avec les femmes de Yakuza c’était différent car une complicité s’installait naturellement entre nous. C’étaient de véritables rencontres qui menaient parfois à des conversations très intimes. La photo est comme l’aboutissement de ce que l’on a partagé, échangé et de ce que l’on a envie, finalement, de retranscrire ensemble. J’ai demandé aux femmes que j’ai photographiées d’écrire un texte qui accompagne le cliché, afin qu’elles soient libres de confier ce qu’elles souhaitaient, notamment sur leur rapport à leurs tatouages. Une photo, ça ne vient pas tout de suite. Ça se mérite, ça se gagne.

© Chloé Jafé – I give you my life

 

Être une femme influe-t-il sur votre travail ? 

Soit c’est une porte d’entrée, soit c’est une porte de sortie. Concernant ma série sur les femmes de Yakuza, je pense que je n’aurais pas pu la réaliser si je n’avais pas été une femme, qui plus est une Française. Pour mon travail sur les prostituées, les choses se sont révélées plus complexes car elles ne comprenaient pas pourquoi j’avais envie de passer du temps avec elles. 

Ensuite, en tant que femme, tu peux rapidement être confrontée à des jeux de séduction assez dérangeants. J’ai ainsi rencontré des hommes qui me promettaient de m’aider avant de me rendre compte que c’était simplement de la drague. En définitive, je pense que c’est ce que tu dégages, ce que tu défends qui va faire la différence pour la réussite de tes projets, que tu sois un homme ou un femme. 

 

© Chloé Jafé – Okinawa mon amour