Mangas et folklore nourrissent son art. Héritière du sumi-e, cette tradition japonaise de peinture à l’encre de Chine, du comics et du manga, l’artiste française Nogi San s’est spécialisée dans un dessin à l’encre de Chine très énervé et d’une furieuse efficacité. Sous son pinceau, le noir et blanc n’a jamais été aussi vibrant et vivant. En ligne, sur les murs, sur toile, parfois dans les galeries, souvent dans les conventions et bientôt sous la forme d’un comics, son art s’expose sans frontières.
Quand avez-vous commencé à dessiner ?
Enfant, j’ai fait du mutisme. Je communiquais en dessinant. L’art m’a ouvert une porte pour m’exprimer. Cette passion a pris de plus en plus d’ampleur dans un cadre familial pourtant peu porté sur l’art. Ce n’était pas vu comme une activité viable. J’ai donc commencé des études d’ingénieur. Mais j’ai continué à avoir des projets artistiques à côté et à en tirer des revenus. L’un des premiers déclics a été ma toute première participation à une convention en tant qu’artiste (ces événements autour de la culture manga et anime sont particulièrement prisés en France – ndlr). C’est là que j’ai découvert qu’il y avait un marché de l’art populaire qui se décline ailleurs que dans les galeries. Cela fait à présent sept ans que je vis pleinement de mon art. Et j’adore ça !
Vous pratiquez un art « d’inspiration japonaise », selon vos propres termes. Vous êtes franco-vietnamienne, d’où vous vient cette passion pour le Japon ?
J’ai grandi avec les mangas et les animes. À l’âge de 10 ans, je déambulais dans les allées de la bibliothèque municipale. Et là, je suis tombé par hasard sur un manga, Fullmetal Alchemist de Hiromu Arakawa. J’ai dévoré tous les tomes. Un coup de cœur fulgurant. Je redessinais les personnages, tant le style de la mangaka m’a touchée. De fil en aiguille, j’ai découvert d’autres œuvres, notamment Akira, qui a été un choc esthétique monumental. Tout cela m’a beaucoup influencée. Et c’est progressivement que je me suis intéressée plus largement à la culture japonaise, à son histoire, à sa mythologie et à son folklore. J’ai lu pas mal de textes. Par exemple, les mythes japonais m’inspirent, c’est farfelu à souhait. Mon nom d’artiste est d’ailleurs un clin d’œil à une légende japonaise, celle du nogitsune (ou kitsune – ndlr), qui est un yokai, un esprit malicieux et espiègle qui jette des mauvais sorts. Ça m’avait marquée.
Les Français entretiennent une fascination certaine pour le Japon et sa culture. Comment l’expliquer ?
La France a toujours été un énorme consommateur de mangas. On doit être les deuxièmes après le Japon. Cela s’est accéléré avec Internet. Il y a vingt ans, l’accès aux mangas était plus limité. Pour les animes, c’est advenu plus tôt, grâce au Club Dorothée dans les années 1990. En réalité, l’influence de l’art japonais remonte aux impressionnistes qui embrassent le japonisme. Le soft power japonais est incontestable en France, mais aussi dans d’autres pays en Europe, qui compte plus d’une cinquantaine de conventions dédiées. Les États-Unis, où je vis, ne sont pas en reste. Et récemment, j’ai même été invitée à réaliser un live painting aux Émirats arabes unis. Cette fascination est mondiale ! Ça m’a surprise.
Dans la tradition japonaise, le sumi-e est un mouvement de la peinture introduit par les moines zen qui repose sur l’usage du lavis à l’encre noire. Vous sentez-vous héritière de cette pratique ?
Plus que du sumi-e, je dirais surtout que je pratique la technique du dessin en noir et blanc. Je suis une « inker », comme on le dit dans l’univers des dessinateurs américains de comic book. À savoir que je dessine principalement à l’encre et en noir et blanc. Chez moi, la couleur est plus rare. Ma pratique est à cheval entre le Japon et l’Occident. Concernant le sumi-e, je suis d’abord tombée sur le travail de Yoji Shinkawa, qui a notamment travaillé sur le jeu vidéo Metal Gear Solid. Il ne fait pas du sumi-e traditionnel, mais il a un style à l’encre très impulsif. Je pense aussi au travail d’un autre artiste japonais qui se réclame du sumi-e et que j’aime beaucoup, Okazu. Chez lui aussi, c’est explosif. J’ai toujours apprécié les styles agressifs. C’est pour cela que j’ai une prédilection pour le noir et blanc. Les images ont beaucoup plus de force, d’impact et de contraste. Aujourd’hui, j’ai un style un peu plus lâche, tout en gardant un goût pour une certaine précision, qui me vient de mon appétence pour les comics. J’adore le travail des dessinateurs Matteo Scalera et Sean Murphy, des artistes majeurs des Batman.
[La suite de cet entretien est à lire dans Portfolio N°2 – Spécial Japon]