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Portfolios


Rosalie Stroesser

16 JUI 2024
Adrien Rivierre

 

Ce sont les mangas des années 1970 qui ont mené l’illustratrice Rosalie Stroesser au Japon. Entre 2015 et 2016, elle décide d’y vivre et d’y travailler. Elle rêve de ce pays. Le mot n’est jamais trop fort, car vues depuis la France, les images idéalisées s’empilent toujours rapidement : les cerisiers en fleur, les sanctuaires shintō, le mont Fuji, les izakayas, le quartier de Shibuya, les petites rues pittoresques de Kyōto…

Puis, inévitablement, la réalité reprend ses droits. C’est ce choc que Rosalie Stroesser raconte dans sa bande dessinée Shiki, 4 saisons au Japon. Dans ce récit autobiographique sans faux-semblants et sans romantisme, elle chemine sur une ligne de crête entre fascination et aversion. Alors que l’autrice réside dans une maison d’hôte du petit village de Oishi, niché au cœur d’une magnifique vallée sauvage composée de rizières en terrasse, elle subit une agression sexuelle de la part du maître des lieux. Représenté sans visage, ce dernier incarne le poids du patriarcat et la violence que les femmes subissent encore aujourd’hui.

Plus tard, à Tokyo, ces sentiments partagés refont surface. Si Rosalie Stoesser est émerveillée par l’énergie de cette ville, elle vit également des moments difficiles comme serveuse dans des bars où l’alcool coule à flots. Des hommes lui parlent crûment pendant que leurs femmes restent à la maison. Nao, une amie, évoque d’ailleurs avec amertume le statut rétrograde de la femme au Japon et sa frustration de ne pas pouvoir faire exploser ce système.

Grande amatrice de la mythique BD Yoko Tsuno, cette ingénieure en électronique japonaise embarquée dans des aventures de science-fiction, Rosalie Stroesser adopte un style épuré et aux lignes claires, comme un clin d’œil au coup de crayon du Belge Roger Leloup. Cette finesse esthétique, obtenue par un travail à l’encre de chine et au stylo, est renforcée par l’utilisation du noir et blanc, respectueux des canons du manga.

Récompensé par le prix de la BD Géographique 2023 lors du Festival international de géographie de Saint-Dié-les-Vosges, ce voyage rythmé souligne avec justesse les paradoxes et les contradictions qui émaillent notre relation au Japon. Et cette ambivalence, loin d’égratigner le mythe, invite à dépasser les représentations simplistes pour laisser place à plus d’authenticité.

Toutes les planches de ce portfolio sont issues de Shiki, 4 saisons au Japon © Rosalie Stroesser – Éditions Rivages, collection Virages graphiques, 2023.